La semaine dernière, nous vous avons présenté Ben qui officie chez «Siam Fifty Seven».
Aujourd’hui, c’est au tour de son collègue, Rude Eye. Celui-ci possède un univers totalement déluré mélangeant couleurs vives et dessins à la fois drôles et mélancoliques.
Et le moins que l’on puisse dire c’est que le personnage est à la hauteur de ses réalisations. Il répond à nos questions avec beaucoup de sincérité et d’humour.

Peux-tu nous faire une petite présentation ?

Hello. Je suis mal rasé et je mange n’importe quand. Je suis ce qu’on peut appeler un artiste. Un personnage assez contrasté, moi même comme mon entourage avons du mal à me définir. J’aime des choses totalement contradictoires. Même dans mon milieu de travail, le tattoo, les collègues ont du mal à me comprendre. D’ailleurs je fuis tout milieu. Je sais juste que j’aime dessiner, créer, l’intelligence, la passion, je veux faire ce que j’aime jusqu’à ma mort.
Je dirais que je suis inadapté au monde qui m’entoure, mais que j’ai tout fait pour l’étudier et tirer mon épingle du jeu. Et le tatouage tient une partie importante dans ma vie, il a formé mon caractère, fais voyager, créé des amitiés, ouvert des portes. C’est sans doute le meilleur choix de vie que je pouvais faire. Ou alors star du rock.

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© Rude Eye

Depuis quand es-tu tatoueur ? Quel a été ton cursus et l’élément déclencheur ?

Je tatoue depuis 1998. Je dessine depuis tout petit. Je ne me suis jamais posé la question, c’est ma vie tout simplement, je dois être trop con pour faire autre chose probablement. Après mes études en art où j’ai épuisé certains prof, j’ai bossé à l’accueil d’un tattoo-shop en été, au départ juste pour travailler sur les dessins. Le tatouage ne m’attirait pas, je n’avais vu que des trucs moches… sur des gens moches. C’est en voyant le gars travailler, les magazines, que j’ai vu de beaux tattoos et que j’ai commencé à m’y intéresser.

Le patron m’a alors proposé d’apprendre. J’ai hésité. Il m’a dit « y aura du pognon et des filles ». Je n’ai plus hésité. Mais je crois que je me suis fait avoir. 4 semaines après le début, il s’est vautré dans un escalier en fer et j’ai du reprendre la partie de son travail qui était abordable pour moi. En septembre, il m’a appris qu’il retournait dans son pays, marre du climat et de l’ambiance belge.
En octobre, j’ai pris mon courage à 2 mains, j’ai quitté mes parents, repris son commerce. Pauvre maman, je l’ai un peu tuée ce jour-là. J’avais 18 ans. J’ai gardé le shop 2 bonnes années.
Le temps de découvrir la réalité économique, la fiscalité, la jalousie, la stupidité et l’absurdité. J’ai vite compris que si je voulais travailler comme je le sentais dans ce monde moche, je devrais m’y prendre autrement et que j’allais en chier. Un cambriolage armé avec violence que j’ai subi m’a poussé à me décider.
Depuis j’ai travaillé pour d’autres, j’ai bougé, j’ai vu des choses, rencontré des gens, formé mon esprit. J’ai appris à tirer mon épingle du jeu, parce que le système économique dans lequel on vit est contraire à toute forme d’indépendance, de liberté et de vraie humanité. J’arrive maintenant à un aboutissement dans mon parcours. Mais je peux toujours me planter comme une grosse merde, rien n’est joué.

Ton style est vraiment bien marqué et reconnaissable. Comment as-tu évolué vers celui-ci ?

Mon style… tu parle de mes vêtements débraillé et de ma barbe à moitié rasée? Ha le dessin… mon style est véritablement en train de se former actuellement. J’ai travaillé un peu de tout, comme tout le monde. J’ai progressivement trouvé mes marques, plus vers le réalisme, l’illustration, l’objet. J’ai laissé de coté l’asiatique, le celtique, le tribal, je ne les maîtrise pas, ce n’est pas ma culture. Et surtout je suis nul dans ces domaines. Mes capacités en dessin m’ont donné de solides bases pour le tattoo, mais j’ai dû aussi, et c’est difficile, apprendre à oublier certaines habitudes qui fonctionnent sur papier, mais sur la peau c’est un peu de la merde. Chaque support a ses contraintes, la peau en a beaucoup, le tatouage a son propre langage.

Mon style est un mélange de diverses influences. J’aime le graphisme, les vieux objets, le corps, le réalisme. Je m’attache à faire passer une ambiance, des sentiments dans mes tatouages, selon le client que je tatoue. Je cherche à allier le réalisme et le détail, avec la dynamique, l’impact, la lisibilité. Un tatouage qui soit lisible à 10km et dont on peut lire les détails de près. En réalité, je dois inventer tout un tas de petites astuces graphiques pour masquer tout ce que je foire et ensuite j’appelle ça mon style. Pas mal non?

Travailles-tu seul ou en équipe ? Où est situé ton shop ?

Les deux. J’ai besoin de tranquillité et de temps pour m’investir à fond dans mon travail. Mais j’ai aussi besoin de travailler en équipe pour avoir des avis, des critiques voir d’autres tattoos que les miens, pour l’inspiration, le partage. Il me faut des gens honnêtes, passionnés et compétents autour de moi. Et des jolies filles mais on ne peut pas toujours tout avoir. Je suis inapte à m’intégrer dans beaucoup de milieux de travail, impossible de rester avec des incompétents, des purs commerçants, des minables. Et surtout, il n’y a sans doute pas beaucoup de gens qui aiment travailler avec un semi-autiste, alors ils me virent. Mais aucune importance, un jour, un dieu quelconque les sodomisera violemment.
Je collabore là ou ça me semble enrichissant, si ça ne va pas, je me casse, c’est très simple. Mon local privé est sur La Louvière, Belgique.


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© Rude Eye

Quel a été ton plus gros projet d’encrage? La demande la plus originale qu’on ait pu te faire ?

Je n’ai rien fait de plus grand que des dos. A vrai dire, je préfère les pièces moyennes, n’étant pas très rapide, mon client décéderait avant de terminer son corps entier. Original ? Rien de particulier. Moulinex sur le bras de Jef peut-être…

Quels sont tes objectifs ?

Faire ce que j’aime, comme je le sens, du mieux que je peux, jusqu’à ma mort. Dans le créatif en général, pas juste le tattoo. Etre libre, voir et faire un maximum de choses, rencontrer des personnes intéressantes, échapper autant que possible aux contraintes inhumaines du système économique de merde dans lequel on vit. Laisser une trace de mon passage. Manger et baiser, mais j’avoue que je mange un peu plus souvent quand même. Ce n’est pas l’objectif le plus beau, mais le parcours. Je suis en plein dedans. Ca se passe de mieux en mieux pour moi.

Quel a été ton mentor ? Quels artistes t’inspirent ?

Mariano à Binche m’a, en son époque, fait goûter au tatouage, c’est lui qui m’a lancé. Jef Palumbo, à Tournai (Lost Highway, La Boucherie Moderne de Bruxelles) est la personne la plus importante dans mon parcours de tatoueur. Son propre parcours, son évolution, ses recherches, ses déboires. Son caractère aussi, sa vision de la vie que je rejoignais sur pas mal de points. Un sale con en quelque sorte. Plus vieux que moi, dans la vie et dans le métier, il a conforté pas mal de mes opinions, rassuré sur mes objectifs dans la vie.

Parce que le tatouage est un mode de vie finalement, quand tu es artiste ou plus généralement quand tu as un véritable métier, ta vie et ton métier ne font qu’un. Ca te vaut pas mal d’ennuis par moment avec les gens qui ne connaissent que le métro/boulot/dodo ou le rien foutre/dodo. Mais eux aussi, un Dieu quelconque s’occupera de leur anus un jour ou l’autre.

Comment conçois-tu tes projets de tatouages, fais-tu toi-même tes modèles que tu proposes ensuite ou crées-tu sur commande ?

Les deux. J’ai mes propres dessins. Mais principalement, je réalise des commandes ou, avec mon coup de crayon et d’aiguille, j’essaie d’interpréter l’histoire, les sentiments, les goûts de chacun. Afin d’avoir une esthétique et une symbolique très forte. Je dois creuser parfois, pour obtenir certains « secrets ». Les personnes me confient parfois des choses très personnelles. C’est assez difficile parfois, surtout avec les femmes qui ressentent un milliard d’émotions à la fois mais ont du mal à exprimer et structurer leur demande et espère parfois que, touché par la grâce de Dieu, je vais deviner ce qui passe dans leur tête. Alors que je n’arrive déjà pas à comprendre ce qui passe dans la tête de la mienne quand j’en ai une. Mes tatouages ne sont pas les plus extraordinaires techniquement et graphiquement, mais ils sont très personnels aux personnes qui les portent.

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© Rude Eye

Pratiques-tu d’autres formes d’art ? (peinture, graph, etc.)

Principalement je dessine. Mais je tente, parfois avec succès, tout ce qui peut être créatif. J’aime découvrir, apprendre, concevoir, fabriquer, inventer, dessiner, peindre, sculpter. Parfois, ça donne des résultats totalement nuls ou de belles choses, mais qui ne servent strictement à rien.
Un peu d’infographie, d’aquarelle, de travail du bois, maquette… Je me suis construis une liberté de pouvoir tout tenter. De la sculpture de fruit, à travailler sur la rénovation de bâtiments anciens. Je participerai un jour ou l’autre à la conception dans le monde du cinéma, effets spéciaux, etc. Je voudrais avoir plusieurs vies. Mais je fais déjà assez de conneries dans une seule.

Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Un dernier mot? Le tatouage ça pique, c’est cher et ça ne sert à rien.

Quelques tatouages et dessins de Rude Eye

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Un grand merci à Rude Eye pour cette super interview, vous pouvez le suivre sur facebook ici ou sur le site de Siam fifty Seven.

A propos de l'auteur

Tatoueuse en studio privé (Grimm's Tattoo) à Lille et passionnée depuis toujours par le monde du tatouage et le dessin.

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