Salut les gens bleus! S’il y a bien une chose qu’on entend en boucle à propos du tatouage (de la part de ses adeptes), c’est qu’il s’agit d’un Art. Le 10ème, dit-on, bien que cette place de classement ne soit pas officielle et que d’aucuns le rangent plus volontiers au 3ème rang, celui des « arts visuels » (et donc de pied égal avec la peinture, la photo, le dessin etc…). Mais que l’on s’accorde à dire que le tatouage est un Art, ne fait aucun doute. J’ai déjà eu l’occasion de parler ici ou là de ce qui me chiffonne le plus dans cette affaire, à savoir qu’on n’affirme souvent ça qu’à l’appui d’arguments tels que « la créativité », « la technique », « le rendu », bref, les points communs avec les Arts qui ont bonne presse.

Mais on oublie trop fréquemment de défendre le bifteck en expliquant surtout les enjeux uniques et propres au tatouage. Les problématiques qu’il est le seul à affronter, en tout cas toutes ensemble et dans ces proportions, comme la question du placement, du vieillissement, du relationnel ou de la douleur (en tout cas parmi les arts graphiques, car les bodmod en général s’y retrouvent, mais on ne va pas pousser trop loin, sinon mémé va défaillir…). Mais certains tatoueurs vont encore un peu plus loin… Et je voudrais saisir l’opportunité de parler d’une super performance pour alimenter ma réflexion autour de cette question. Alors aujourd’hui parlons d’Art, et pour une fois, essayons d’être un peu pointus
(haha pointus… t’as compris? Les aiguilles… pointues… haha… hum. pardon).

Olivier Poinsignon, est un jeune homme digne du plus grand intérêt. Il cherche inlassablement à repousser les limites du medium, et à le dépasser en en faisant l’outil de projets artistiques, le centre névralgique de performances, ou le moteur de nouveaux défis. Il qualifie lui-même son activité de « Création de concept-action ou de concept-graphique dans le milieu du tatouage et de l’illustration. » et se dit « artiste tatoueur et illustrateur qui cherche une définition évolutive de soi dans le monde. » Je t’encourage vivement à jeter un œil à ses travaux au delà de celui dont on va parler aujourd’hui : Aiguilles Musicales.

Aiguilles Musicales est une collaboration concept entre L’Imaginarium (Emilie.B et Guillaume Smash) et lui, où la musique rythme la création plus lourdement qu’à l’accoutumée. Le principe est simple : les 3 tatoueurs réalisent 2 tatouages en improvisation ainsi que quelques dessins, après avoir constitué une playlist à laquelle toutes les personnes présentes dans l’atelier ont contribué (7 personnes en tout). Cette playlist étant la seule indication autorisée pour influencer les tatouages à faire. Se laissant porter par le son, les mains des encreurs dansent donc sur la peau des tatoués.
 
Les règles du jeu :
-Les tatoueurs changent de poste de travail dès qu’une chanson se termine.
-Le temps d’une chanson ne peut être utilisé que pour le projet en cours.
-Aucun échange verbal ne peut être fait entre les tatoueurs pendant l’écoute de la playlist.
-Les tatouages doivent être improvisés.
 
La performance a été filmée et diffusée en live durant 8 heures via le réseau social instagram, et a donné naissance à la vidéo de 2’45 qui suit, réalisée par Adi Bessac (qui a d’ailleurs aussi été aux manettes du tryptique vidéo du projet CO-Laboratoire, collaboration cette fois entre Olivier Poinsignon et l’extraordinaire Andro Gynette dont j’ai parlé ici).

La playlist qui a été le métronome de ce projet est disponible sur youtube, et tu verras si tu t’y penches, qu’elle est aussi variée que la palette d’émotions d’une vie tout entière et transperce des voix ou des styles que rien d’autre que l’art ne semble pouvoir rapprocher. Mr Oizeau, Brassens, Daft Punk, Igorrr, Brel, Manson, Kyary Pamyu Pamyu…

Voici le résultat en 17 photos de ces tatouages pas comme les autres

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(clique sur le diaporama pour passer plus vite à l’image suivante, ou check la liste des images si tu préfères)

Tout le monde n’est pas sensible de la même manière à l’art, aux performances, aux expérimentations… Du coup je vais essayer de résumer pourquoi moi, ça me parle, et pourquoi je pense qu’il faut en parler. Je ne parle que pour moi ici, Olivier, Guillaume et Emilie eux-même pourraient ne pas être d’accord, ou n’avoir pas vu les choses de cette façon, mais qu’importe, produire quelque chose, c’est l’ouvrir aux interprétations, et qu’elles soient préméditées ou non, le fait qu’elles existent dans le regard du « spectateur » les rend aussi pertinentes que les motivations de base.

L’idée de canaliser l’énergie créatrice, de la faire circuler dans la pièce, en un flux reliant le son (et sa limite de temps) aux oreilles, les oreilles aux mains, les mains aux corps, puis les corps au temps, est très intéressante et amusante. Soulever des questions sur le rapport au temps court de la chanson, ou même de la performance, qui engendre une production destinée à vivre un temps long. Cette énergie semble d’ailleurs débordante et envahissante puisqu’à chaque changement de main sur le dermographe, le tatoueur remplacé en a un surplus, une frustration naît de ne pas pouvoir aller au bout d’un geste, d’une envie, d’une idée, et c’est là qu’interviennent la grande peinture murale ou les petites peintures, comme des voies de détresse routières sur lesquelles les artistes vont finir leur geste. Olivier lui-même me confiait d’ailleurs « Une grande feuille (2m30/1m50) faisait office de soupape comme troisième post de travail. D’ailleurs ce grand format nous a aidé à nous libérer physiquement je pense. »

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Les questions de relationnel, si centrales à mon avis, dans le tatouage, sont évidemment aussi très présentes ici. Le lâcher prise de Lucas et Adam, les deux « mécènes » tel qu’Olivier tient à les appeler, qui, étaient partis pour se faire encrer l’avant bras pour l’un, le mollet pour l’autre et qui, finalement ont laissé les tatoueurs donner libre cours à leurs gestes, effectivement, donnent de leur peau, mais aussi de leur temps (encore et toujours), et je ne parle pas des 8 heures de tatouage, mais du reste de leur vie, tout cela,et bien d’autres choses dans ce projet, est passionnant et ouvre à la réflexion, la critique, la réaction.

Alors est-ce que le tatouage n’est de l’art que si on l’utilise pour ce genre de projets? Certes non! Ici on utilise le tatouage et ses caractéristiques pour pousser un projet plus loin, soulever des questions inédites. Car faire de l’art, être un Art, ce n’est pas seulement être joli, ou ressembler à une peinture. C’est questionner. Pour moi c’est surtout ne pas répondre. Les réponses viennent des réactions, des changements produits sur les êtres, imperceptiblement, doucement, petit à petit. Les réponses viennent des productions suivantes, des pousses naissantes de chaque bourgeon, souvent des bourgeons apparus à des endroits inattendus. Être de l’Art, c’est perforer. Perforer une idée, perforer un a priori, perforer une crainte, un sentiment, un cœur, un œil, un esprit… Une peau.

Retrouve sur Facebook Olivier Poinsignon et L’Imaginarium

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