Le jeune punk de Baltimore en a fait du chemin des US à la France. Vous avez découvert le sourire charmeur de Phil Kyle dans l’émission « London Ink ». Discret, il encrait au côté de la tête de mule Dan Gold et de l’affirmée Nikole Lowe. Si l’émission lui a apporté une certaine notoriété, il n’empêche que le tatoueur officie depuis très longtemps : 1992. Formé à l’ancienne, soit à la dure, Phil respecte et aime profondément l’art du tatouage. Ce passionné multi-casquettes est aussi un musicos, fan de métal. Il a fondé le label Black Reaper Records et même collaboré avec Marshall ! 

Alexandra Bay – Inkage : Comment as-tu découvert le tatouage ?
Phil Kyle : J’ai découvert le tatouage très tôt. Je suis né aux USA et j’ai habité dans l’État du Maryland, sur la côte Est. Mon père était un marine dans l’US Navy, tandis que ma mère était française, niçoise d’origine. Mon goût du tatouage ne vient pas de mon père. Il n’en avait aucun pour un marine dans les années 60. On habitait en banlieue de Baltimore et on avait des voisins anglais. Lorsque j’avais 5 ou 6 ans, j’ai vu le père de cette famille… Il avait ses bras recouverts de dague, de tête de mort, d’aigles et de serpents, etc. C’était la première fois que je voyais des tatouages, ça m’a bien marqué… après ça, j’en voulais partout. Je m’achetais des “lick and stick”, des tatouages temporaires vendus avec les chewing-gums. Je m’en collais partout… sur les mains, le cou, les bras. Vers 9 ans, j’ai commencé à beaucoup dessiner grâce à mes oncles français. Ils m’ont vraiment donné le goût du dessin… Ils m’ont prêté des stylos à l’encre de chine, des « Rapidograph ». Et là, je suis aussi devenu accro… c’était bien avant l’Internet… dans les années 70, vers 1978… J’avais de vrais hobbies comme la musique, la guitare, le dessin et la pêche. Ensuite, j’ai continué l’apprentissage du dessin à l’école pour progresser et par passion. Vers 15 ans, je me suis fait tatouer pour la 1ère fois le soir d’Halloween. J’évoluais dans la scène punk de Baltimore. La musique, l’art et les concerts ont construit ma vie. Ils ont tracé ma voie. À partir de là, j’ai eu envie d’apprendre à tatouer… J’ai commencé à dessiner des motifs pour mes potes, qui se les faisaient encrer par de bons tatoueurs. Je ne voulais pas acheter un kit de merde et me lancer dans la cuisine de ma mère… Je voulais apprendre à tatouer pour de vrai, avec un tatoueur pro… et c’est comme ça que j’ai appris.

Comment as-tu commencé à tatouer ?
P.K : Je me suis fait tatouer plusieurs fois au shop « Main Street Tattoo», sur la route 40 d’Edgewood , au Maryland. Ce n’était pas trop loin de chez moi… Je les ai fait chier pendant 4 ans pour obtenir un apprentissage et apprendre le métier dans les règles de l’art… Après leur avoir cassé les couilles pendant des années en leur emmenant mes dessins… Ils ont accepté. Il y avait Adam et Seth Ciferri qui travaillaient dans la même boutique. Le patron Ed Massimiano m’a pris comme apprenti. J’avoue que ça a été un apprentissage très dur, très “Old School”… Soit frotter et nettoyer les chiottes un bon moment avant que je puisse toucher une machine de tatouage, pas comme maintenant… tu devais faire tes preuves… comme un karaté kid quoi… « No hipster bullshit »… du vrai de vrai… Tu devais gagner le respect en bossant dur. Montrer que tu pouvais supporter toutes les tâches ingrates pour faire ce métier… Je tatoue depuis 1992… 23 ans… soit la moitié de ma vie.

   

As-tu suivi un apprentissage classique ?
P.K : Si, par classique, tu entends « rentrer dans le underworld de la mafia » oui… un monde magique qui n’existe plus. Je ne changerais pas un seul détail de mon parcours… J’ai vraiment bossé dur pour arriver où j’en suis aujourd’hui grâce à tous ces gens-là et à ma détermination… je suis un tatoueur qui a une vraie éthique de travail. Tout se mérite dans la vie et tu ne peux pas toujours avoir quelqu’un qui te dit que c’est bien, lorsque cela peut être mieux.

Tu as participé à la célèbre émission « London Ink ». En gardes-tu une bonne expérience ? Avec le recul qu’en penses-tu ?
P.K : Cela a été une méga expérience pour moi… je ne regrette pas du tout d’y avoir participé. J’ai encore appris beaucoup de choses sur le tatouage, mais aussi sur l’univers de la télé… deux mondes complètement différents. Mais si je pouvais représenter le milieu du tatouage et faire de mon mieux pour montrer aux gens comment ça se passe… alors pourquoi pas ? Ma philosophie est de rendre au tatouage ce qu’il m’a apporté dans la vie. Si je n’avais pas fait cette émission, je l’aurai regretté aujourd’hui. Cela a été très dur. Les tournages duraient de longues journées… On était filmé entre 12 à 13 heures parfois… et 6 épisodes étaient tournés durant 6 semaines. On n’était pas vraiment payé, mais c’était comme ça. C’était la 3ème émission de ce style : Miami, L.A. et London… La version anglaise est beaucoup moins “Hollywood”, plus dans un style documentaire. Elle a été filmée en 2007/2008. Comme je l’ai expliqué, j’ai beaucoup appris, et c’est ce qui compte pour moi.

Penses-tu que ce type d’émission peut éduquer certaines populations à la culture tattoo ?
P.K. : Il y a beaucoup de ces émissions actuellement… Il y en a certaines que j’ai du mal à regarder… On sent une production « Hollywood style » qui ne représente pas vraiment le tatouage mais filme des gens qui se disputent sans arrêt, le tatouage est secondaire. Mais il y en a d’autres qui montrent de supers artistes et les beaux tatouages qu’il est possible de réaliser. Elles montrent aussi comment fonctionne une boutique de tatouage au quotidien. Quand on a filmé « London Ink », nous avons demandé à la production de filmer de nombreuses séances et tatouages finis. On était content qu’ils soient d’accord.

Tu es un tatoueur qui souhaite encrer tous les styles. Quel est celui que tu affectionnes ?
P.K: Ce que j’adore, c’est tatouer… Après, j’aime surtout tatouer mes propres dessins, même si je peux m’adapter aux styles que les gens me demandent. Au shop où j’ai appris à tatouer, on était obligé de savoir tatouer tous les styles : old school, noir et gris, tribal, etc. Et je continue encore aujourd’hui. À «Main Street Tattoo», nous étions situés à 15 minutes d’Aberdeen Proving Grounds… une base militaire du Maryland. Tous les 1er et 15 du mois, les soldats étaient payés et du coup, nous aussi ! Des fois, on commençait à 10h du matin et on finissait vers 3h du matin. J’avais 22 ans. Truc de ouf… J’ai tatoué à côté de mecs comme Ernie Carafa qui venait en guest spécialement pour ces jours bondés. Si tu ne connais pas Ernie Carafa, retourne faire tes devoirs « peuple »! Les souvenirs que j’ai dans le coeur et dans ma tête… Avant, on était des tatoueurs… Pas des « tattoo artists » ! Bien sûr, on dessinait…mais le titre officiel était « Tattooer »… et on était fier de notre métier.

 

   

Comment procèdes-tu dans ta relation au client, le choix du dessin etc. ?
P.K: Je lui demande tout simplement de me montrer des idées qui lui plaisent et après je dessine avec ma patte. Lorsque je leur demande leurs inspirations, ils me montrent souvent des tatouages que j’ai déjà encré. Alors c’est cool. Ou parfois, ils me présentent des idées intéressantes comme des livres, etc. et bien sûr, maintenant sur Internet. Le tatouage évolue avec chaque nouvelle technologie, il faut faire avec. Ensuite je prépare le dessin pour le placer sur le corps et vérifier que la taille soit en harmonie avec les formes. J’essaie de faire de mon mieux pour donner de bons conseils. Je pense qu’après 23 ans de carrière, je me débrouille pas mal. Parfois, j’ai des clients têtus mais je leur fais comprendre que leur idée ne va pas marcher. C’est souvent des clients qui sont peu ou pas tatoués. Ils imaginent qu’un tatouage peut être tellement petit ! Mais la peau reste une matière vivante, les tatouages changent avec le temps… Alors, j’ai constitué un petit album photos des tatouages pourris que j’ai pu trouver ici et là, pour leur montrer des preuves. Et en voyant les photos, ils comprennent mieux.

Avec le débat des encres, quelle importance accordes-tu à ta sélection de pigments ?
P.K: Je trouve cela inadmissible… il y a des couleurs qui existent et qui sont fabriquées en Europe depuis plus de 50 ans. Ces couleurs sont « vegan » bien avant que l’encre vegan ne devienne à la mode. Je ne suis pas vegan mais il n’y a aucune raison de mettre de l’ammoniaque et autres produits, etc. dans les pigments. Surtout lorsque ceux-ci sont sains, propres et stériles. Juste parce que le flacon n’est pas étiqueté « norme française », il faudrait sélectionner d’autres couleurs ici ou là qui sonnent moins bien mais avec « la fameuse étiquette »… ça m’énerve… C’est encore une façon du gouvernement de nous contrôler… next question please.

Es-tu mécanicien dans l’âme ? Quelle importance tient le dermo dans ton art ?
P.K: Je me sers de « coil machines » – des machines à bobines… C’est ce qui marche le mieux pour moi. Il y a un vrai contact avec ces machines, qui n’ont pas trop changé depuis qu’elles ont été inventées dans les années 1860. Il y a de bonnes rotatives, j’ai essayé la 1ère fois il y a 2 ans, mais je préfère mes machines à bobines. Les dermos qui ressemblent à des stylos, je n’ai jamais essayé. Ils sont certainement très bien, mais j’ai besoin de travailler à l’ancienne, ce sont mes racines dans le tatouage. Alors j’ai du mal à tester ce type de machine, en plus, il n’y a pas de bruit. Parfois en convention ou dans une boutique, tu te demandes s’il y a des gens qui bossent car tu n’entends aucun bruit. Tandis que mes clients entendent mes machines à quelques mètres de la boutique haha. J’adore ce bruit…c’est la musique du tatouage et assurer la mécanique, c’est trop top.

Pourquoi avoir choisi Pleurtuit pour t’installer en France ?
P.K: Avant d’être à Pleurtuit, j’étais à Saint-Brieuc avec un frère d’une autre mère : Neusky. On a travaillé ensemble, dans son shop, pendant au moins 5 ans. On se voit plus souvent maintenant. On est souvent placé côte à côte dans les conventions comme au Mondial ou à Saint-Brieuc, etc. Quand j’ai commencé le tournage de « London Ink », j’ai ouvert ma boutique à Brighton et j’ai déménagé à Pleurtuit. Ce n’est pas loin de l’aéroport de Saint-Malo et du port où se trouve le « Brittany Ferries ». C’est plus facile de voyager : 2 semaines en France et 2 semaines à Brighton. Mais après 10 ans d’aller-retour, j’ai eu envie de changer un peu. De plus, ça fait presque 10 ans que j’habite à Pleurtuit avec ma famille. Je connaissais déjà bien la région, alors j’ai ouvert ma boutique ici. Ce 14 juillet, ça fera déjà 2 ans. Le bail de Brighton se termine en juillet. Je vais passer plus de temps en France… à la maison quoi ! L’aventure de Brighton va se poursuivre dans un autre local avec la même équipe, mais je vais me concentrer sur mon shop de Pleurtuit et mes supers clients français. En même temps, c’est facile pour mes clients anglais de venir en Bretagne s’ils le veulent.

Je sais que tu t’es vraiment beaucoup blessé au genou. Quelles sont les conséquences pour le tatouage ? Étant donné que tu restes assis toute la journée ?
P.K: ha ha… oui… effectivement, je me suis grave vautré…  un accident tout con à la maison. Un dimanche après-midi, je me suis pris un meuble avec mon pied. Je me suis cassé un doigt de pied… Le choc m’a jeté parterre avec une telle force, je suis tombé sur le genou et ça m’a pulvérisé la rotule… Pour une 1ère fracture, j’ai fait fort ! C’était le 6 décembre 2015, je n’oublierais jamais cette drôle d’expérience. Je suis retourné bosser en fauteuil roulant après 7 jours… 3 jours à l’hôpital et 4 jours à la maison…Sinon j’allais perdre la tête. Encore une fois, le tatouage m’a sauvé l’esprit. Heureusement que j’ai ouvert à Pleurtuit. Je devais repartir pour Brighton normalement le lendemain de l’accident et je n’ai pu y revenir qu’un 1 an après… j’ai dû faire de la rééducation durant tout ce temps… Ouf.. mais j’ai réussi à gérer… mais j’avais grave mal quand même… Plus jamais ! J’ai dû être suivi par un kiné régulièrement, puis j’ai subi 2 opérations, le fauteuil roulant, les béquilles et maintenant la canne… mais au moins une canne, ça fait classe haha.

Tu es un vrai fan de musique, je crois savoir que tu as un label non ?
P.K: Oh oui, une des raisons de ma présence dans le milieu du tatouage… Après tout, ce sont les tatoueurs qui donnent un look cool aux rock stars ha ha ! Oui, je suis un fan de musique. Avec mon pote Oliver, nous avons un label qui s’appelle « Black Reaper Records ». On fabrique et on distribue des disques vinyles et des CD… ça va du punk, du métal au doom. Les groupes que l’on aime et que nous produisons sont : Sea Bastard, War Wolf, Kalloused, Grave Lines, Wolf Cub. On a encore des projets à venir. J’ai aussi eu la chance de faire des amplis pour la marque Marshall… une «tattoo serie» avec 4 autres tatoueurs en Angleterre. J’ai halluciné quand j’ai reçu l’e-mail. J’ai réalisé 3 modèles différents. Ils ont été exposé au NAMM à Los Angeles, mais aussi à Frankfort en Allemagne, à la Brighton Tattoo Convention et même dans la galerie du shop « Magnum Opus » à Brighton. Je suis vraiment fier d’avoir été inclus dans ce projet.

Depuis que je suis gamin, la musique a toujours joué un rôle important dans ma vie et dans mon art. Je continue souvent d’aller en concert. J’ai vu des centaines de groupes depuis les années 80… et je n’ai pas l’intention de changer ça… c’est vraiment mon truc, la scène live, le pouvoir de la musique, c’est intense… Du coup, je n’ai pas joué de musique depuis un bon moment… Je suis à la recherche de musiciens en France ! Surtout dans le 35 en Bretagne ! J’ai trop besoin de ma dose de thérapie…

Quelle dimension occupe la musique dans ta création « tattoo » ?
P.K: Lorsque je tatoue, la musique tourne toute la journée. Mes clients découvrent pas mal de nouveaux styles musicaux et c’est cool. Quand je dessine à la maison, la musique tourne aussi en permanence. Des fois, je dessine mon interprétation d’une chanson… ma vision des paroles, ce que je ressens en l’écoutant… la rage, la tristesse, l’inconnu… la vie… la mort…

Que peut-on te souhaiter de meilleur pour l’avenir ?
P.K: Je souhaite juste continuer à faire ce métier aussi longtemps que possible… voir le sourire de mes clients lorsqu’ils se regardent dans la glace quand la séance de tatouage est finie. Continuer à faire des projets et des conventions… Essayer de rire autant que possible. Toujours découvrir plus pendant que je vis sur cette petite planète bleue qui tourne en rond et qui ne va nulle part en même temps… Continuer à rendre au tatouage toutes les choses qu’il m’a apportées.

Un dernier mot ?
P.K: Un grand merci à ma famille de me supporter depuis toutes ces années… Je sais que ce n’est pas toujours facile… Ce métier est magnifique, mais très intense et difficile. Quand tu te donnes à 110% dans ton travail, des fois, tu as du mal à sortir du mode «boulot». La passion est dure à contrôler, ça peut te rendre heureux autant que dépressif… C’est un peu comme on dit en anglais “a love, hate relationship”. Essayer de toujours faire mieux dans ton art n’est pas toujours évident pour les gens qui vivent autour de toi. Merci….

Merci aussi à tous mes clients et tous les gens que j’ai tatoués depuis 23 ans. Vous êtes nombreux et j’apprécie votre confiance. Aux collègues du métier qui m’ont tellement appris sur le tatouage et sur la vie… Les êtres chers que j’ai perdus durant mes années passées sur terre. Je pense à vous chaque jour. Et bien sûr, le Tatouage… merci pour tout. Et aux hipsters, je dirais arrêtez de chier sur le tatouage ! Ce n’est pas une mode, c’est une façon de vivre… « passion not fashion » !

Et merci Alex pour cette interview. C’est vraiment cool.

Bises à vous tous !

Phil Kyle

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