C’est avec beaucoup d’acharnement que j’ai réussi à obtenir quelques réponses de l’être abjecte qui hante les lieux du Museum Of Madness. En effet, Monsieur Alex Des Esseintes West est un personnage cynique, déroutant mais il faut bien lui avouer une qualité: il a un talent indescriptible. Entrez dans ses pensées sordides si vous l’osez.

Bonjour Alex D.West, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Bonjour, vous pouvez m’appeler Alex Des Esseintes West. Je tiens le Museum Of Madness dans la vieille ville de Saint Laurent du Var. Tel le sculpteur qui dégage les courbes cachées dans la roche, je révèle les motifs invisibles mais déjà présents dans la peau.

Quel a été ton parcours de tatoueur ? Qui t’a formé ?

Mon premier tatouage fut le fruit d’une expérience bizarre de mon enfance. J’étais solitaire, tant par inclination naturelle que par mes goûts qui différaient de ceux des autres enfants. Un après-midi que je vadrouillais, je trouvai un crapaud qui avait dû être écrasé par une voiture et était resté là à sécher. Je décidai de le ramener chez moi et de lui faire passer le courant d’une pile dans le corps (peu de temps avant, j’avais découvert le Frankenstein de Shelley). Les aiguilles étaient celles dont je me servais pour faire tenir mes maquettes d’avions et elles étaient souillées de peintures. La suite, on s’en doute, fut mon premier tatouage. Hélas, je n’ai pu le garder que quelques jours, bien caché dans un tiroir car les miasmes dont il saturait ma chambre avaient alerté mes parents.

Ensuite, ma famille déménageât aux Philippines et je découvris une forme de tatouage primitive. J’étais fasciné par leurs méthodes. Ce que ne montrent pas les documentaires sur ce genre de sujet, ce sont tous les paradoxes de ces actes, la préparation sommaire, l’absence d’hygiène, souvent même ils sont ivres ou drogués, pourtant ils accordent un respect tout particulier au tatouage, presque sacré.

Est-ce que la décoration et le nom de ton shop sont un hommage à H.P. Lovecraft (« Mountains of Madness »)? Si oui, qu’est que ce qui te plait dans l’univers de l’auteur ?

Mon nom fait en effet référence à Herbert West, le réanimateur de la nouvelle éponyme de l’écrivain de Providence.
H.P. Lovecraft est un maître incontesté, il balaye l’anthropocentrisme pour créer une horreur cosmique qui est l’ultime terreur concevable. Lorsqu’on lit ses nouvelles, on ne peut que se sentir poussière d’un tout, prisonnier d’une réalité étriquée.

Il n’est pas ma seule référence en littérature, évidemment. Je suis un inconditionnel du Marquis de Sade et des Onze milles verges de Apollinaire dont il n’est pas rare que je cite quelques extraits lorsque j’œuvre.

L’antre de Alex D.West

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Beaucoup des tatouages que tu encres font référence à des films d’horreur, es-tu un grand fan du genre ? Quelles sont tes références cette fois-ci ?

J’ai été un grand admirateur du cinéma d’horreur italien, notamment Suspiria dont les couleurs m’ont tant fasciné qu’à mes débuts j’avais peint mon antre en m’inspirant des images de ce film, tout en mauve, en rose et en bleu. Sinon l’évident Hellraiser, les films de la Hammer, certaines œuvres de Jean Cocteau… En règle générale, je ne tatoue que les choses que j’aime, il n’y a qu’ainsi que je donne le meilleur de moi-même.

Nous avons pu te croiser à l’occasion du Mondial du Tatouage. Fais tu beaucoup de conventions et qu’est-ce que cela t’apporte ?

Par mes œuvres, je m’efforce de transmettre une énergie. Je crois énormément à la magie et je pense qu’à travers mon art, je permets de véhiculer une puissante énergie perceptible quel que soit le motif que j’exécute. Cela me réclame énormément de ressources intérieures, pour cette raison je ne peux me permettre de multiplier les conventions. Habituellement, je n’accepte pas plus de trois tatouages par semaine. Avant le Mondial du Tatouage de Paris, j’ai jeûné une semaine et me suis énormément préparé psychiquement.

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Nous avons également pu observer à cette occasion une magnifique pièce que tu réalisais sur le torse d’un client : un cadran d’horloge incrusté sur un cœur très réaliste. Comment s’est passé la conception de ce projet ainsi que tous les autres que tu as pu réaliser au Mondial ?

Quand quelqu’un prend contact avec moi, il croit avoir une idée de ce qu’il veut, en réalité il ne le sait pas encore. Je ne me contente pas de répondre aux bêtes désidératas d’une clientèle souvent mal informée et ne vais pas tatouer de vulgaires signes zodiacaux ou des symboles absurdes, mon travail c’est de révéler ce que l’autre ne sait pas encore de lui. Je ne me contente pas de répondre aux bêtes désidératas d’une clientèle souvent mal informée et ne vais pas tatouer….

Cette horloge et ce cœur sont bien davantage que des métaphores de la vie et du temps. Au début, on m’avait apporté un aigle tenant un ruban dans ses serres, nous avons discuté mais aussi fait silence, (les silences sont primordiaux !) et j’ai crayonné avant d’arriver au résultat que tu connais. Quand on vient voir Alex D. West on ne vient pas seulement voir un technicien qui photocopie une image du papier à la peau, on vient exister à nouveau, je souffle sur les braises du phœnix!

Tu te démarquais également des autres tatoueurs grâce à un style propre à toi avec les cheveux gominés peignés en arrière, des souliers cirés, cravatte et gilet en tweed, chemise… Et ton shop reflète ce style très à part avec de vieux ornements, des dorures, des livres anciens et des fioles, bref un genre à part entière qui t’est bien propre. T’inspires-tu d’une époque particulière ? Pourquoi cet attrait envers ce style ?

Enfant, j’avais une santé fragile, des troubles hormonaux qui m’incommodaient et changèrent ma physionomie d’une hideuse façon, me rendant quelque peu timide, sans compter que plus tard je me retrouvai en Océanie au milieu de tous ces gens étranges avec lesquels il m’était difficile de communiquer. Lorsqu’on est seul, on est obligé de s’inventer ses propres amis ou les chercher dans les livres. D’après moi, seule la littérature fin-de-siècle est apte à stimuler l’imaginaire et offrir un havre de paix à une âme artistique.
En Des Esseintes, en Huysmans et en tant d’autres, j’ai trouvé des frères, des maîtres à penser qui firent naître en moi l’amour du beau et du bien vivre, l’attrait vers une élégance tant vestimentaire que gestuelle qui n’a d’autre but que de cacher aux yeux du monde ma laideur intérieure.

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Que préfères-tu réaliser, des petites, moyennes ou grandes pièces ? Y en a-t-il une qui t’a marqué plus que les autres ?

La pièce m’ayant le plus marquée fut sans doute le plus cuisant échec de ma carrière d’encreur. D’autant plus qu’elle met en scène mon plus fidèle ami, le professeur Marcus de St Élode. La première fois que je le vis dans ses appartements, je découvrais un être pervers à la face faisandée, des yeux liquides et en gomme, des joues plâtrées de fard, des lèvres peintes et je pensais que j’étais tombé dans un repère de sodomite. Ce ne fut pas sans peine que je parvins finalement à le convaincre de lui tatouer une splendide et flamboyante moustache de hussard en lieu et place du duvet fin, incolore et maladif qui ornait la lèvre supérieure de sa bouche lubrique et lippue. Je pensais qu’ainsi, je pourrai lui faire oublier son vice et les dépravations auxquelles il s’adonnait sans la moindre pudeur dans les bouges immondes qu’il avait l’habitude de fréquenter.
D’un point de vue esthétique, cette moustache fut d’un réalisme saisissant mais n’eut pas l’effet que j’escomptais de prime abord. Moi qui pensait presser dans sa couche les plus belles des courtisanes, je ne fis que renforcer l’appétence qu’avait à son égard les jeunes garçons aux mœurs contre nature. Ce qui, je le déplore, ne sembla pas vraiment lui déplaire !

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Y a-t-il d’autres formes d’arts pour lesquelles tu te passionnes ?

Les géoglyphes m’ont toujours obsédé. Je voyage à travers le monde pour pouvoir les observer et les étudier. Lorsque j’ai commencé le tatouage, j’avais pour dessein d’acquérir le plus grand terrain possible et réaliser l’une de ces œuvres cyclopéennes moi-même, rêve que j’ai en partie réalisé !

Quels sont les artistes (français ou étrangers) qui t’inspirent aujourd’hui ? As-tu déjà réalisé un guest avec l’un d’entre eux ?

Une nuit j’ai participé à une séance de spiritisme où nous avions convoqué l’âme d’Honoré Dalbon qui était tatoueur au début du XX° siècle. Nous lui avons demandé de bien vouloir prendre possession de ma main et en moins d’une heure un sublime tatouage avait été réalisé (un splendide trimât toutes voiles déployées).

Qu’est-ce qui te satisfait le plus dans ta vie d’aujoud’hui ? Que peut-on te souhaiter de meilleur pour l’avenir ?

Lorsque mon géoglyphe sera finalisé, j’arrêterai le tatouage pour me consacrer à l’entretien de mon œuvre qui sera visible depuis l’espace !

Quelques tatouages réalisés par Alex D.West

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Un grand merci à Alex D.West pour cette très belle interview.

Museum Of Madness
31 rue de l’Eglise
06700 St. Laurent du Var France
tel.: 04 93 31 83 79

A propos de l'auteur

Tatoueuse en studio privé (Grimm's Tattoo) à Lille et passionnée depuis toujours par le monde du tatouage et le dessin.

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3 Réponses

  1. Manue

    Incontestablement la quintessence du réalisme sur peau. Une précision et une délicatesse incomparable. Merci l’artiste.

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