J’ai découvert le livre « Les histoires de l’oncle tatoo », par hasard, en fouillant le rayon enfant d’une librairie « un peu arty » à côté de chez moi. C’est la couverture qui a attiré mon attention avec son magnifique graphisme : en médaillon, cet oncle au look biker en train d’offrir une petite croquette à son chihuahua, le sourire aux lèvres et tatouages apparents, posé sur un fond bleu orné de magnifiques dessins dans un style « gravure ».

Cependant, je me demandais si le contenu serait à la hauteur du joli papier cadeau et ce fût une grande satisfaction que de découvrir un livre qui offrent aux enfants des histoires parfaitement écrites, drôles et poétiques, qui en plus véhiculent de vraies valeurs comme l’histoire de « la chaise » : un paysan qui refuse tout l’or d’un roi pour garder son arbre précieux l’Oblaroza. Un arbre, je cite « … haut comme une maison, … avec une écorce aux motifs « peau de girafes », … bleu comme la peau des Schtoumpfs… et dont les fruits ont la saveur des meilleures friandises ». Pour situer le personnage de l’Oncle Tatoo, c’est l’oncle un peu excentrique de la famille, le rebelle fan de moto et de Led Zeppelin, avec de gros bras dessinés. Cet oncle a un minuscule chihuahua nommé Sid dont le collier est orné d’une épingle à nourrice et il adore recevoir ses nièces La, Lala et Lalala, des triplettes très espiègles qui lui demandent un jour de raconter l’histoire de ses tatouages. Il commence alors en relevant la manche de son perfecto et je souhaite citer ce passage que j’ai vraiment apprécié et qui donne tout son sens au livre « Ses bras sont ornés de merveilleux dessins comme les murs du musée du Louvre. Ici, pas de Joconde ni de Radeau de la Méduse, mais un champignon, une licorne, un ressort, un raton laveur, une chaise…  Le tout joliment tatoué à l’encre bleue. »

Tatoo cover

L’Oncle Tatoo profite alors de cette occasion pour leur raconter les histoires un peu loufoques de « la chaise », de « l’arrosoir », « le verre du Nil », « le moulin à vent » et « le caméléon ». Des histoires dont le petit grain de folie m’a rappelé celles de ma bande dessinée favorite « Philémon ». J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre pour ma fille Emy et je dois intervenir pour un atelier « tatouage » adressé aux enfants durant lequel je ferai une lecture de ce livre, car il transmet l’idée non moins importante que chaque tatouage porté a du sens, que son histoire soit réelle ou non. D’ailleurs la première page mentionne cette citation du film Big Fish réalisé par Tim Burton : « Un homme raconte si souvent ses histoires qu’il ne fait plus qu’un avec . Ses histoires lui survivent et ainsi il devient immortel. » N’est-ce pas inconsciemment l’effet recherché dans la pratique du tatouage ?

L'Ot et ses nièces

J’ai donc souhaité interviewer les deux auteurs qui sont originaires de la Belgique :  Rascal pour le scénario et Peter Elliott pour les dessins.

peterascal

Bonjour Rascal, Bonjour Peter, comment est née l’idée du livre « Les Histoires de l’Oncle Tatoo« ?

PETER : L’envie de travailler à nouveau ensemble après déjà quelques belles collaborations. Cette histoire me permettait de mettre en œuvre une technique que j’aime bien: intégrer des dessins dans des photos.

Qui a eu l’idée d’axer le thème de ce livre autour du tatouage et pourquoi ?

PETER : C’est Rascal. Nous avions déjà traité ce thème au travers de Horace l’un des personnages de « Etoile » qui est tatoué de la tête aux pieds. « ETOILE » une BD que nous avions produit ensemble quelques années plus tôt.

Est-ce que vous vous connaissiez  déjà ou bien était-ce votre première collaboration ?

PETER : Notre rencontre s’est faite au sein de notre maison d’édition PASTEL. Notre premier album ensemble c’est ‘Poussin Noir’ en 1997.

RASCAL, j’étais très étonnée de lire sur ta bio que tu as beaucoup fait l’école buissonnière, car le livre est parfaitement écrit avec de très jolies histoires et subtiles. Tu es donc un autodidacte ?

C’est exact ! J’ai aimé l’école jusqu’à mes 12 ans. Tout m’intéressait alors. Apprendre à lire, écrire, calculer, l’histoire, les sciences, la géographie.  Ce savoir en poche, j’en savais assez pour me débrouiller dans la vie.  C’est ce que je pensais.  De plus, j’étais sans grandes ambitions.  Je me souviens avoir eu le désir d’être clochard. Dans le genre Charlot, Rimbaud !

PETER, tu es également un autodidacte dont l’école n’a pas réussi à développer le potentiel ! Tu dessines depuis toujours ?

C’est à peu près cela. Je m’ennuyais sur les bancs de l’école « traditionnelle » et les résultats n’étaient pas très concluants ! Tout s’est arrangé quand je me suis inscrit à l’Institut Saint-Luc, qui est une école d’art située à Bruxelles. J’ai enfin pu faire ce qui m’éclatait… et ce type d’étude, d’autre part, me laissait le temps de faire de la musique.

PETER, tu es musicien dans un groupe, est-ce la raison pour laquelle on voit beaucoup de références musicales dans le livre ? Les posters de Led Zeppelin, le nom du chihuahua Sid, etc ?

En effet, je suis musicien. Je fais un lien très étroit entre la musique et le dessin, mais je ne suis pas le seul à aimer le rock’n’roll, Rascal aussi ! Sid (Vicious) c’est son idée. Pour le reste, comme l’OT vit « dans ma maison » puisque c’est chez moi que j’ai pris les photos nécessaires à la réalisation des images… les amplis, les guitares… tout était sur place.

Comment avez-vous choisi le graphisme, les différents personnages ?

RASCAL : Cela faisait un bail que nous avions envie de retravailler ensemble, Peter et moi.  À force de se le dire, j’ai un jour pris le temps de concrétiser notre désir. Je suis fasciné par les tatouages et si j’étais plus courageux, j’aurais, comme mon arrière grand-père ou mon frère, les bras et le torse tatoués de roses, d’oiseaux, de sirènes, de prénoms, d’animaux sauvages et de « que sais-je encore ? ». Avant qu’il n’envahisse les corps de toutes les couches de la société, le tatouage était essentiellement rebelle.  Et comme je connais plus de rockers que de marins ou d’ex-taulards…La figure du vieux rocker s’est tout naturellement imposée. Voilà pour le point de départ d’Oncle Tatoo. Le reste est un mélange d’influences digérées. De Big Fish de Tim Burton en passant par le fabuleux Philémon de Fred.

PETER : J’essaie de me poser le moins de questions possible. Le texte me guide, mais pour le reste je laisse venir les choses naturellement. Je fais beaucoup de croquis… à un moment, le personnage tel qu’on peut le voir dans l’album apparaît. En général, je le sens tout de suite. C’est lui et personne d’autre !

J’aime la façon dont vous avez mélangé le dessin et la photo, était-ce important pour vous ? Est-ce que c’est une façon de mélanger imaginaire et réalité ?

PETER : Je prends plaisir à explorer de nouvelles techniques, à ne jamais faire 2 fois la même chose. Dans mon coin, j’avais déjà bricolé quelques montages du genre. Ici le texte et la forme du livre se prêtaient  bien à cette technique. J’ai sauté sur l’occasion. Ce qui m’amuse, c’est qu’une fois mélangées au dessin, ces photos issues du réel, basculent dans l’imaginaire, comme si le récit, le dessin et l’imaginaire prenaient naturellement le dessus sur la réalité.

RASCAL, j’ai vu que tu remerciais « le cerveau de ton fils » pour sa participation au scénario des histoires 🙂  Avez-vous testé celles-ci sur vos enfants pour voir leur réaction ?

Je n’ai jamais testé mes histoires à mes enfants lorsqu’ils étaient mômes. Uniquement ma cuisine ! Pour ce qui est du singulier remerciement, voici le pourquoi du comment : Après avoir jeté les bases et écrit prologue et première histoire, j’ai eu l’envie de travailler avec mon fils Lucas.  Nous avions rendez-vous dans un café. J’avais dans ma poche un Larousse de poche. Au hasard des pages, nous prenions un mot. Des réflexions s’en suivaient tout autour de bouteille, caméléon, arrosoir ou moulin vent.  Nos idées allaient de l’un à l’autre, comme une balle du tournoi du Grand Chelem. Et les histoires naissaient aussi vite qu’une partie de billard. Non que je sois à court d’idées, mais l’envie de passer du temps avec mon fils, et de confronter son jeune cerveau fantasque au mien me charmait. Après, il m’a fallu seul, ordonner, trier, organiser nos idées communes en histoires et les raccrocher à celles déjà existantes.

Etes-vous vous-même tatoués ? D’ailleurs, RASCAL tu me disais que ton arrière grand-père était tatoué de la tête aux pieds.

RASCAL : (Ok pour l’expression, mais selon ma mère, son visage était vierge) C’est ce qu’il se raconte dans la famille. Il s’était fabriqué une petite roulotte tiré par un grand chien et mangeait quelque fois du hérisson. Voilà le mythe ! Mon frère Stéphane est tatoué, ainsi que l’un de mes fils. Ils ont hérité de cette passion qui avait sauté deux générations. Je ne le suis pas. Non par manque de goût, mais plutôt par crainte des aiguilles et du sang.

PETER : Oui, je porte une spirale tatouée sur l’épaule gauche. Ce symbole (si simple pourtant, il ne s’agit que d’une simple ligne) me parle beaucoup. Il a à mes yeux beaucoup de sens.

Que pensez-vous de la place du tatouage dans la société actuelle ?

RASCAL : Je n’ai pas d’opinion. Chacun fait ce qu’il veut de sa peau. Pense aussi qu’il y a un effet de mode. Lorsque je rencontre un ado à la piscine avec tatoué sur son dos un long et large NI DIEU NI MAITRE. Je préfère le penser.

PETER : Il s’agit pour moi d’une démarche personnelle… je me suis toujours foutu de savoir ce que l’on pouvait en penser. Ce qui compte pour moi, vu le caractère définitif de la chose, c’est que le tatoué puisse assumer pour toujours le sens que prend ce dessin inscrit sur son corps (ou aucun sens, pourquoi pas, mais il faut pouvoir vivre avec sans regrets). En bref, il faut que le tatoué se sente bien dans sa peau. Pour moi, le regard de la société est secondaire dans cette démarche.

Comment est perçu le livre en général ?

RASCAL: En littérature jeunesse, il y a très peu de retour de lecteurs. Ce n’est pas spécifique à ce livre.
PETER : Faire un livre c’est jeter une bouteille à la mer… ce qui se passe après, c’est l’affaire des lecteurs et du public. Ceci dit, certains m’en ont dit beaucoup de bien (les autres se taisent en général 😉

Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?

RASCAL : Le projet de passer un beau mois d’août à Barcelone. À ne rien faire et profiter de tout.
PETER : Je suis plutôt musicien pour le moment. Je prépare l’enregistrement d’un 4ème album avec les gars de mon groupe. Ce qui ne m’empêche pas de dessiner quand même et d’avoir des projets graphiques, dont il est un peu tôt de parler pour le moment. Je signalerai juste que sort en septembre « Mon Amour Trop Loin » mon dernier album réalisé seul (texte et images).

Pour acheter le livre : www.chantelivre.com

A propos de l'auteur

38 ans, photographe pour inked puis rise.... amoureuse de l'image. Tatouée depuis l'âge de 17 ans, passionnée d'histoire et de culture du tatouage. Collectionneuse invétérée de livres sur ce sujet. Co-créatrice d'un fanzine dédié au tatouage FREE HANDS FANZINE. Son profil Google plus

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.