I. Un peu d’histoire.

  
Le tatouage est une pratique ancestrale, je ne te l’apprends pas. Un peu partout sur la planète, et dans chaque culture, on retrouve cette vilaine habitude de se dessiner sur la peau. Je ne vais pas refaire ici l’historique complet de la coloration indélébile dans le monde, mais on retrouve des traces de pratiques de tatouage remontant jusqu’à 3500 avant J-C (sur Ötzi par exemple). On retrouve ainsi des traces sur des momies qui prouvent que le tatouage était pratiqué un peu partout dans le vieux monde. Mais nous ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est l’archipel japonais, alors voyons cela de plus près.

Au Japon, les premières traces de couleurs sur la peau apparaissent en réalité sur des figurines de l’ère Jômon (縄文時代), une des très grandes périodes historiques de l’empire, qui s’étend approximativement entre 15000 et 300 avant Jésus le ravi de la crèche. Ces Haniwa comme on les appelle, arborent des motifs qui, aujourd’hui encore sont discutés… peintures? tatouages? Rien n’est certain. Cela signifie qu’il n’y a pas de preuve irréfutable que les gens se tatouaient vraiment, même si on peut l’imaginer sans problème, sachant que partout ailleurs cela se faisait aussi. On ne peut l’attester qu’à partir de textes chinois datant du IIIème siècle, qui relatent l’existence de pêcheurs aux corps entièrement couverts de tatouages, comme des talismans ou des conjurations de mauvais sort pour se protéger des créatures marines.

Quand on évoque le tatouage au Japon, il est difficile de ne pas évoquer également les anciennes et riches traditions du peuple Aïnu qui vivait au Nord du Japon, et leurs tatouages aux mains et aux visages, ou encore des femmes de Ryukyu (aujourd’hui Okinawa au Sud du pays) qui se tatouaient les poignets par exemple. Mais ces pratiques sont moins reliées au tatouage tel qu’il a évolué aujourd’hui et qui nous intéresse. Je ne vais donc pas m’y attarder…

 

Dans le Kojiki, un recueil de mythes sur l’origine du Japon, écrit en 712, on parle déjà de 2 types de tatouages : l’un prestigieux, l’autre vulgaire. Le premier réservé aux richards, l’autre aux traîne-patins. C’est seulement durant la période Edo (vers 1600) que le tatouage tel qu’on le connait aujourd’hui a commencé à s’épanouir, à la faveur du climat de « paix » qui régnait alors dans les grandes villes (on était quand même sous une dictature militaire féodale hein), et durant laquelle les arts de toutes sortes prenaient du grade. Parmi tous les styles traditionnels c’est peut-être bien le tatouage japonais qui montre le premier des traces d’intérêt pour l’esthétique pure. Les nobles le portaient comme on porte une belle parure, et non plus seulement pour des considérations shamaniques, claniques ou punitives. C’est probablement une des raisons qui expliquent l’esthétique si particulière du style japonais.

En réalité, c’est une période assez floue dans la vie du tatouage japonais. Il existe des débats entre les chercheurs, dont j’ai retrouvé une transcription rarissime…

« C’est les classes sociales inférieures qui portaient des tatouages j’te dis Francis!
– Mais nooon tu planes Michel, c’est clairement les riches qui, d’ailleurs, je te le rappelle, n’avaient pas le droit d’exposer leurs richesses en public, et du coup se faisaient des pièces coûteuses sous les fringues!
– Bein s’ils les cachaient sous les fringues, ils pouvaient pas en faire étalage, tête de flan! Allez, repasse-moi le saké au lieu de dire des conneries! »

Tu trouveras plus de détails sur les différents tatouages de l’époque Edo sur cet article plutôt bien ficelé d’inkonnection, principalement sur les catégories de tatoués en milieu/fin d’article, si tu veux pousser plus loin. Ce qui est certain, c’est cette dualité entre tatouages esthétiques, et punitifs. D’ailleurs il paraîtrait (je n’ai pas trouvé de preuve formelle mais on dit que…) puisque l’irezumi couvre particulièrement, notamment à cause de son background sombre (dont on reparlera en détail dans le chapitre III), on l’utilisait comme cover-up des tatouages punitifs. On dit même que les vrais passionnés qui se tatouaient pour l’amour de l’Art, et non changer de vie, laissaient l’intérieur du bras sans encre pour prouver qu’ils n’avaient pas de cercle tatoué, et n’étaient donc pas des criminels, ce qui expliquerait la forme actuelle des manchettes jap.

Pendant l’Ère Meiji (明治時代) entre 1868 et 1912, le Japon s’ouvre un peu au monde et veut faire bonne figure. Le tatouage est déclaré interdit, ce qui n’empêchera pas les étrangers de venir pour en apprendre plus sur cet art qui fascine. Pendant toute l’Ère Meiji et les 2 suivantes Taishô (大正時代) et Shôwa (昭和時代), donc pendant très longtemps, le tatouage est l’apanage des hors-la-loi. Même si l’interdiction sera levée en 1945, il ne sera pas pour autant autorisé (contrairement à ce que dit Wikipédia…) on reparle de ce point précis dans le chapitre VI, en tout cas, il est aisé de comprendre pourquoi, comme partout ailleurs, l’encrage se traîne une réputation de bad boy dont il est difficile de l’en départir.

Un style unique.

« A style has no name. Valar Morghulis! »

Un truc un peu spécial à propos du japonais, c’est qu’il a beaucoup de noms différents, parfois justement parce qu’il a une histoire si complexe, tour à tour accepté rejeté, divisé dans les couches sociales etc… En tout cas cela peut parfois prêter à confusion pour les non initiés, alors voyons en détail les appellations principales sous lesquelles tu risques de tomber dans tes recherches sur le net, et qui parlent toutes de la même chose.

Irezumi est le mot le plus connu (on peut l’écrire de différentes façons, par exemple 入れ墨 littéralement « insérer de l’encre », très utilisé pour les traîne-patins dont on parlait plus haut, ou encore 刺青, littéralement « épine bleue », orthographe plutôt réservée aux richards classouilles). Aujourd’hui, les Japonais l’utilisent plus volontiers pour parler des tatouages sur de très larges parties du corps, jusqu’aux bodysuits. C’est le mot le plus utilisé mais aussi le plus lourdement associé à la mafia japonaise, on y reviendra. Il évoque le style traditionnel, mais surtout la technique traditionnelle, le tebori, le Japon, les gangs.

Horimono (彫り物, littéralement chose gravée), est aussi un mot assez populaire. Il est plus large (il s’étend même à d’autres domaines que le tatouage, comme la gravure etc…) et évoque moins le style purement traditionnel, bien qu’il reste associé à l’image de l’esthétique nipponne. Notez d’ailleurs qu’on trouvera toujours le préfixe Hori- devant les noms de tatoueurs qui veulent s’inscrire dans la tradition japonaise. Horiyoshi III, Horihiro, Horiokami (super artiste italien, BigUp au passage) etc. Un tatoueur se dit d’ailleurs « Horishi » ou « tattoo artist » s’il veut se dégager du poids du traditionnel au profit d’un tatouage plus moderne.

Wabori (和彫り, plus difficile à traduire, wa 和 est un préfixe pour les choses traditionnelles japonaises ex : washitsu 和室 = chambre traditionnelle en tatami, washoku 和食 = cuisine traditionnelle etc… et bori est la prononciation du hori 彫りqu’on a vu plus haut) wabori est donc un terme très clairement lié à la culture japonaise. Wabori est moins associé au monde des Yakuza, il revient vers le culturel, l’identié japonaise. Il est néanmoins beaucoup moins utilisé que les autres.

Tattoo (タトゥー) est le mot le plus récent. Evidemment, il vient de l’anglais. Si sur les sites internet français tu verras très souvent le mot « Tattoo » utilisé (jamais dans mes articles par contre, je mets un point d’honneur à utiliser le mot tatouage), l’utilisation de cet anglicisme en japonais prend une autre fonction que celle de juste avoir la classe ou faire plus court. タトゥー évoque clairement le tatouage de type occidental. Petite pièce, mode, cool sont les mots qui viennent en tête quand on l’utilise. On utilise parfois Yobori (洋彫り) en opposition à Wabori, mais très très rarement.

Pour plus de culture : certains autres mots sont aujourd’hui désuets et oubliés, tels que irebokuro (入れ黒子 insérer un grain de beauté, utilisé dans les années 1700), monmon (紋々 qu’on retrouve dans le projet de Horitomo : Monmon cats) ou encore monshin (紋身) etc… Sachez qu’en japonais, un mot peut recouvrir bien des connotations selon son écriture, cela explique pourquoi le tatouage a pu avoir tant de noms au cours des siècles, et encore aujourd’hui, étant un art qui se pratique sur des êtres vivants, et donc pour de multiples raisons, de multples couches sociales etc…

Sans contrefaçon, je suis un nippon.

Alors essayons de dresser une carte d’identité basique du style le plus « japonais » parmi les différentes facettes du tatouage pratiqué au Japon. C’est un tatouage qui couvre de larges parties du corps. Il est conçu pour pouvoir être dissimulé par des vêtements traditionnels. Il est pensé comme un ensemble plutôt qu’une accumulation de motifs, et on le verra souvent accompagné d’un fond en larges bandes sombres qui viendront jouer avec les motifs, générant des jeux de transparence, de mouvement, de contraste. Ajoutons que les motifs courants sont liés à la nature (fleurs, animaux, éléments), à la mythologie (divinités, créatures légendaires) ou à la littérature (personnages de romans et contes, mantras). Et nous allons détailler tout ça dans les chapitres concernés…

Mais quand on parle de traditionnel, on pense de suite au tatouage sans machine, dans une forêt, shooté à l’encens, le tout rythmé par des hurlements de douleurs du courageux tatoué en quête d’authenticité vraie de la vérité véritable. Alors essayons d’y voir un peu plus clair sur ces techniques barbares.

Aller au chapitre suivant II. Techniques d’hier et d’aujourd’hui.

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A propos de l'auteur

Passionné par le tatouage, la photo, et l’image en général, cet expatrié au Japon, diplômé d’Arts Plastiques repenti aime regarder le monde. Vous pouvez également retrouver ses articles tatouages sur son blog personnel Le Support et l'Encre son Instagram ou suivez-le sur Facebook pour toujours plus de tatouages

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2 Réponses

  1. samoutard

    Salut,
    ce serait possible d’avoir une version imprimable de ton article ou un lien?(les tâches d’encre masquent certains mots/phrases à certains endroits)
    Pour lire a tête reposé et pouvoir le trimbaler avec moi, histoire de finir de peaufiner les détails de mon futur tatouage japonais 😉
    merci

    Répondre
    • Ludo-Ondori

      Salut Sam, je ne sais pas sur quoi tu consultes l’article mais je ne vois pas comment l’image de fond peut cacher quoi que ce soit…
      Il n’y a pas d’autre version de ces pages à ce jour, mais ce n’est pas la 1ere fois qu’on me demande une version imprimable.. Je vais peut-être me pencher sur la question, et dans ce cas, je reviendrai vers toi!

      Merci de ta lecture!

      Répondre

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